Il était une fois... un brillant officier, Saint-Cyrien, qui, après avoir ferrailler en Afrique du nord puis au Proche-Orient, revient en métropole après avoir contracté la tuberculose. Soigné en sanatorium, il rencontre la femme de sa vie, Colette, et accepte un traitement par pneumothorax artificiel, qui lui permet de reprendre le service actif.

Ainsi lui fut-il confié le commandement du fort de Flaut en 1937, tout nouvel ouvrage de la fameuse ligne Maginot en voie d'achèvement dans les Alpes-maritimes, dans les montagnes de la Vésubie.

Ce jeune capitaine s'appelait Jacques Tramond, né le 4 août 1902 à Verdun. "Pacha" du fort de Flaut de 1937 à 1939, il rejoint la 1ère DLM en 1940 et fait supprimer en secret son pneumothorax artificiel pour pouvoir monter à l'assaut en Belgique, à la tête de ses hommes, suite à l'offensive allemande du 10 mai 1940. Échappant à la captivité mais épuisé par les combats, la retraite et le manque de soin, il s'éteint prématurément en 1943, à l'âge de 41 ans.

Baroudeur hors pair, meneur d'hommes, le capitaine Jacques Tramond dissimulait sous la cuirasse du militaire chevronné, une sensibilité rare, qu'il immortalisa en secret, dans l'écrin de roche et de béton en perdition de l'ouvrage de Flaut. Avant de quitter son fort à l'automne 1939 pour sa nouvelle affectation, il laissa en effet éclater tout son amour pour sa patrie et sa famille dans une "fresque" solaire et céleste.

Peintre amateur et dessinateur confirmé, Jacques Tramond a illuminé sa chambrée souterraine d'une vue sur la Méditerranée évoquant furieusement les rochers rouges de Menton, perçue depuis une fenêtre en trompe-l'oeil voûtée incroyablement travaillée, jusque dans le jeu d'ombre imprimé par l'éclairage de la pièce. Venue des cieux, une ribambelle d'anges virevoltent dans les airs, les uns couronnant en triomphe au son de la trompette l'écu d'azur symbolisant l'ouvrage de Flaut (5 tours d'or pour ses cinq blocs de combat), d'autres créant un somptueux bouquet de fleurs, dans lequel un Putti vient délicatement poser une petite enveloppe. À travers cette peinture murale d'une élégance et d'une poésie admirable, le capitaine Tramond évoque les jours heureux passés aux côtés de son épouse Colette et leur fille aînée, lorsqu'ils se rendaient dans la résidence familiale, au bord de la Riviera, et les bouquets fournis et accompagnés de lettres romantiques, qu'il faisait parvenir à sa femme alors enceinte de leur deuxième enfant lorsqu'éclata la guerre.

À l'ouvrage de Flaut, dans l'intimité de sa chambrée souterraine, le capitaine Jacques Tramond fortifie son esprit, consolide ses croyances et chasse ses doutes. Héritier d'une belle famille d'officiers au service de la France, d'une grande spiritualité, mari et père inquiet du bien-être des siens, le commandant du fort de Flaut a su sonder son coeur et son âme dans une oeuvre à l'esthétique sobre et chaleureuse, profondément aboutie et assurément bouleversante.

Cette composition pariétale était amené à disparaître. Défraîchie par le temps qui passe, diluée par l'humidité incroyable sévissant en plein été dans les souterrains et hideusement taguée par des irresponsables, le sort de cette oeuvre unique semblait scellé inexorablement dans un ouvrage par ailleurs devenu dangereux du fait des poussées de roche déformant sols et piédroits.

Lorsqu'il était jeune étudiant à la faculté d'histoire de Metz, l'un des professeurs de notre vice-président Michaël Séramour répétait avec assiduité qu'avec des "si" on mettrait Paris en bouteille. Et bien, les années passant, il s'avère qu'avec des "et SI on tentait le coup ?", on soit en mesure de produire des miracles ! (avec un peu d'effort tout de même)

Ainsi donc l'historien de l'Association Ouvrage A5 Bois du Four proposa-t-il à la Base de Défense de Draguignan le projet fou de sauvetage de la fresque du fort de Flaut, par un prélèvement et une exposition à l'ouvrage A5 en Lorraine. Le joyau du capitaine Tramond reviendrait ainsi à 40 km de sa ville de naissance, Verdun, et à quelques encablures de la Belgique où il livra son dernier combat.

Comment remercier à leur juste valeur le général Lendroit, commandant la Base de Défense de Draguignan, le lieutenant-colonel Rostand et le capitaine Vereertbrugghen qui ont accepté de nous faire confiance ? Sans doute en faisant de notre mieux, mais nous souhaitons encore leur exprimer ici toute notre gratitude pour leurs autorisations et le suivi du dossier.

En juillet dernier, Michaël Séramour et Yannick Marquaire, accompagnés de leur cantinière Laura Marquaire et rejoints par Michel Séramour, ont donc parcouru les 1050 kilomètres les séparant de la vallée de la Vésubie pour un sauvetage hors norme. Semée d'embuches, jalonnée d'imprévus, sillonnée de rebondissements, cette aventure fut incroyable et nous marquera sans doute toute notre vie de défenseurs du patrimoine !

L'opération fut un succès ! Désormais, la visite de l'ouvrage A5 Bois du Four s'achève au PC de nos mortiers de 81 mm (en clin d'oeil à l'ouvrage de Flaut, qui en comptait quatre) sur une "fresque" magistrale et une magnifique histoire d'amour.

Nous vous partageons dès ce soir quelques photographies de notre périple, avant de vous détailler, dans les jours qui viennent, le processus de récupération et d'exposition de l'oeuvre de l'ouvrage de Flaut au A5 Bois du Four.

Et pour en savoir plus sur l'histoire du capitaine Jacques Tramond : Michaël Séramour, Des arcs en ciel sous l'uniforme : sur la trace des peintres et dessinateurs des forts de la Grande Guerre et de la ligne Maginot, Metz, Editions des Paraiges, 2021.