Les aventuriers de la fresque perdue du fort de Flaut - Partie 1
Publié par Michaël Séramour dans Travaux · 12 Septembre 2024
Sauvetage de la fresque du fort de Flaut - partie 1 !
Comme promis suite à notre post de dimanche dernier, nous revenons en image - et en quatre épisodes - sur l'opération de récupération de la peinture murale réalisée par le capitaine Jacques Tramond dans sa chambre souterraine de l'ouvrage de Flaut.
L'aventure commence le lundi 8 juillet 2024 à 2 heures du matin !
Direction Lantosque, à 1050 km de notre Lorraine, en camion, pour prendre possession de notre logement et faire un repérage à l'ouvrage de Flaut en soirée...
Les semaines précédentes ont été employées à préparer minutieusement l'opération. Avec Jean-Louis Marchal, Michaël Séramour et Yannick Marquaire ont répété virtuellement le déroulé du sauvetage. Le premier magasin de bricolage conséquent étant à une heure de route du chantier, il importe de n'omettre aucun détail !
Les prévisions vont bon train et, en bon responsable de la muséographie, Michaël prévoit d'exposer l'oeuvre au A5 au fond de la chambre de l'officier observateur. La peinture n'a jamais été mesurée in situ, mais d'après les détails des photographies à disposition (lampe électrique, ventilation, etc), elle ne semble guère dépasser les 1,60 x 1,60 m, de quoi se fondre parfaitement dans cette petite salle du rez-de-chaussée !
Après une nuit blanche à passer en revue tous les détails de l'expédition, la route fut longue jusque dans les Alpes maritimes ! Arrivés sur place pour 17h, passablement groggys mais déterminés à découvrir la fresque du capitaine Tramond qui occupent leurs pensées depuis plusieurs semaines, les A5 en goguette se lestent de leurs valises pour foncer à l'ouvrage de Flaut.
Oui, ça y est, la voilà cette fameuse route en lacet, ces belles montagnes de la Vésubie, ces jardins en espaliers ! Passés quelques propriétés privées, Yannick et Michaël arrivent devant la barrière fermant l'accès à la route stratégique.
Sitôt franchie, les voilà se stationnant devant l'entrée de Flaut, presque inchangée depuis 1940.
Le joyau artistique de la ligne Maginot est là, quelque part, dans ce trou noir que la lumière du jour n'atteint jamais. Les galeries sont extrêmement humides, en plein été, une myriade de gouttes d'eau se disputant les voûtes, jusqu'à s'en séparer pour s'écraser au sol, dans le clapotis des flaques formées par des milliers d'autres avant elles.
L'état des souterrains nous fait sentir en terrain hostile. Certains radiers se soulèvent sous les poussées de la roche, tandis que piédroits et crépis éclatent en maints endroits, vaincus d'avance dans la lutte inégale imposée par les lois de la géologie.
L'homme a participé à l'effondrement du lieu... Comme partout, le ferraillage est généralisé ; les moteurs sont éventrés et quelques traces d'incendie révèlent le sort qui fut réservé aux câbles électriques. Les graffiti modernes sont omniprésents, sur les murs, les portes, et même les filtres de ventilation. D'insultes en signatures, de pamphlets philosophiques en représentations obscènes, ces spasmes créatifs semblent nous conduire jusqu'au trésor de Flaut, dont ils ont déjà commencé à gangréner la pureté...
Après 150 mètres de marche en effet, elle est là ! L'âme du capitaine Jacques Tramond ! Son testament pictural, lui qui est mort si jeune, en 1943, à l'âge de 41 ans... Malgré la pureté et la vivacité des couleurs, la joie n'a pas le temps de s'installer.
Car l'oeuvre est grande, TRES GRANDE ! Oublier les 1,60 x 1,60 m... Quelle blague !
Michaël se retourne vers Yannick. En lâchant le mètre des mains, il lui souffle "2,30 x 2,30 m"... Puis reprend, "On mesure l'épaisseur de la paroi."
Nouvelle surprise, elle mesure cette fois 20cm au lieu des 15 habituels. Même en disquant de part et d'autre du mur, il restera 6 cm inatteignables qu'il faudra grignoter au burineur. L'entreprise Borie à l'origine de la construction de l'ouvrage a bien fait les choses...
Bien sûr, la brique de mortier traditionnellement utilisée pour monter les cloisons des casernes souterraines Maginot a laissé ici place à des carreaux de béton, dont un premier carrotage révèle toutefois qu'ils ne semblent pas armés et que les galets ajoutés au mortier sont de taille réduite.
Cerise sur le gâteau, l'oeuvre a été exécutée à partir de poudre de couleur. Autrement dit, l'enduit n'est pas stabilisé et se désagrège au moindre toucher. Concrètement, aucun frottement ne sera toléré et pas un grain de poussière ne devra toucher la peinture.
En ce lundi soir, l'heure est donc aux doutes : l'opération est-elle réalisable ? D'autant que tout le plan d'exposition de l'oeuvre au Bois du Four tombe en lambeaux. Deux chambrées d'officier au A5 ne suffiraient pas à contenir un ensemble pareil.
À la vue de la Méditerranée peinte par le capitaine Tramond, l'idée de profiter des plages de Menton toutes proches tente nos récupérateurs...
NON ! Hors de question de céder aux chants lancinants des sirènes de la facilité et du découragement !
Les idées s'enchaînent pour chasser les doutes. Vite, il faut une nouvelle accroche pour fixer la motivation ; un point de mire pour rendre flou tous les obstacles qui ne manqueront pas de se présenter en chemin.
- "Le PC des mortiers ! Nous la mettrons au PC des mortiers du Bois du Four. Un pan de mur est presque libre et de tête, il me semble que nous atteignons les trois mètres sous plafond. Par ailleurs, comme le A5, Flaut est armé de mortiers de 81 mm, ce qui offre une cohérence historique et muséographique plutôt intéressante !"
Mi-amusé, Yannick regarde Michaël lancé à voix haute dans ses réflexions, poursuivant son argumentation d'auto-persuasion sur "le béton qui semble friable et léger" et la promesse d'une "histoire incroyable à raconter à leurs petits enfants" ! Ces deux là se connaissent par coeur, et déjà Yann calcule le poids de l'ensemble dont il accueille le résultat d'une grimace dubitative. "Une fois au sol", ajoute Micha, "il faudra dégrossir l'arrière des blocs découpés..." Une difficulté supplémentaire.
Après une bonne nuit de sommeil, nos deux amis passent aux choses sérieuses le lendemain mardi 9 juillet. Non sans mal, la découpe des contours de l'ange déposant une enveloppe dans le bouquet est amorcée. Le béton de la paroi n'est pas si friable que cela finalement... et il s'avèrera encore moins léger. La suite au prochain épisode dans quelques jours !